Les datasprints pédagogiques au service des programmes et de l’esprit critique des élèves l’exemple Traces de Soldats

Atelier Canopé 94
12 min readOct 10, 2018

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Qu’est ce qu’un datasprint pédagogique ?

Un datasprint pédagogique est un dispositif de médiation numérique des savoirs contributif limité dans le temps où les participants unissent leurs compétences pour explorer, augmenter un jeu de données et proposer des visualisations éclairant une question déterminée. Le #DatasprintPédagogique propose un cadre hybride et engageant propice à la créativité, à la collaboration, au questionnement. Les participants y développent des habilités numériques et critiques tout en construisant collectivement un savoir autour de la question explorée à travers un ou des datasets. Aucune expertise initiale, technique ou scientifique n’est requise.

Le datasprint pédagogique s’inscrit dans le cadre de la classe contributive. C’est un levier pour la construction des savoirs des élèves — savoirs en soi / savoirs pour soi — , de formation à l’adulte, de compréhension d’un territoire, d’exploration d’une problématique.

Traces de Soldats est un exemple de datasprint pédagogique proposé en classe.

La journée #HNCreteil3 est un exemple de déploiement de datasprint pédagogique dans le cadre d’une formation à l’adulte.

Un datasprint pour quoi faire ?

Actualité des données et l’école dans tout ça ?

Protection des données — affaire Cambridge Analytica — mise en place du RGPD, intelligence artificielle et deep-learning — AlphaGovoitures autonome — SmartCities… les questions posées par l’exploitation des données numériques font régulièrement débat. Elles concernent autant nos expériences connectées, que nos choix de société et nos devenirs individuels. De fait, ces problématiques prégnantes traversent l’École. Elles concernent très directement les élèves, leurs environnements numériques de travail, de loisir, de socialisation, leurs manières de s’informer et d’apprendre. À titre d’exemple, les élèves de l’école d’aujourd’hui sont pour beaucoup des usagers de Youtube et de son algorithme de suggestions reposant sur l’exploitation des données des usagers du réseau… Déjà, les actions conduites par les enseignants dans le champ de l’EMI ouvrent des pistes de réflexion et d’actions pédagogiques.

Au delà de l’exploitation de nos traces numériques et des quantités massives de données que nous générons par nos épisodes de connexion, il semble important, à l’École, de comprendre que le travail avec les données numériques renseigne les savoirs eux-mêmes. Souvent citée en exemple, l’expérience de la Venice Time Machine démontre que les travaux de numérisation et d’exploitation des données peuvent être des éléments de conservation et d’intelligence du patrimoine.

Dans le cas de Traces de Soldats, les élèves et leurs enseignants exploitent des données issues de numérisation d’archives militaires, départementales ou communales

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239ec2336101
https://docs.google.com/spreadsheets/d/19S4jZa1MuJvwg19cgq5IRHhq1FrN-BNUB3boFh61kos/edit?usp=drive_open&ouid=0

Traces de Soldats permet de comprendre l’envers du décor. Pour reprendre l’idée de Dominique Cardon élèves et enseignants soulevent le capot des algorithmes à l’oeuvre dans nos sphères numériques en comprenant comment la donnée brute structure et alimente un message. Il s’agit aussi de rechercher, traiter des données pertinentes et utiles à la production d’informations venant éclairer notre compréhension de phénomènes ou de savoirs académiques. Cette logique n’est pas nouvelle. Elle sous-tend notamment l’introduction du code dans les programmes. La proposition d’un datasprint comme cadre d’un apprentissage par la pratique, reposant sur la recherche et le traitement de données, s’inscrit dans ce prolongement. Elle fait par ailleurs écho à un questionnement toujours plus grand sur nos vies et expériences connectées.

Les enjeux pédagogiques

Construire une culture du numérique nécessairement critique

Au delà des questions de fond sur la manière dont le numérique impacte notre société et en particulier l’École, il existe de réels enjeux pédagogiques autour d’une proposition d’apprentissage par le travail avec les données numériques. Paradoxalement les compétences les plus largement travaillées à travers le datasprint relèvent moins des habiletés numériques que des compétences critiques. Travailler avec les données c’est avant tout constituer un corpus sourcé et exploitable. Ces opérations de recherche, d’agrégation et d’ordonnancement des données reposent essentiellement sur des savoirs-faire documentaires régulièrement travaillés par le professeur documentaliste. Dans une telle démarche il est indispensable de distinguer le document primaire (le jeu de données original et fiable, proposé par une source identifiée) du document secondaire (jeu de données crowdsourcé, visualisation issu d’un traitement…). Repérer la donnée fiable, connaitre les sources primaires, vérifier, croiser les informations secondaires sont des compétences développées à travers le datasprint.

Dans Traces de Soldats les élèves et les enseignants sont invités à augmenter le jeu de données initial. Lui même issu d’un travail collaboratif d’indexation.

Charge à eux de documenter plus avant ces éléments. De nombreuses sources sont à leur disposition comme les registres matricules (source primaire) ou MémorialGenWeb (source secondaire) :

https://view.genial.ly/5bbd2110d5e71b5dfee0f90f/tds-alfred-edouard-eugene-bigot

L’objectif de développement de l’esprit critique l’objectif se retrouve également dans l’exploitation et le traitement de la source. Il faut être en mesure d’analyser les données disponibles, de leur donner un sens, de formuler des hypothèses, puis de les vérifier en opérant des choix : quelles données garder, quelles données compléter, quelles données vérifier, croiser. Cette démarche s’apparente aux expériences d’éducation par la recherche.

Le travail de visualisation des données appelle également à développer les compétences de distanciation critique. D’une part, l’analyse d’informations proposées sous forme visuelles : graphiques, cartes, dendrogrammes, diagrammes, histogrammes, infographies en tous genres, requiert des compétences de lecture pointues. D’autre part, ces éléments souvent synthétiques jalonnent les communications digitales et physiques auxquelles sont confrontés élèves, parents et enseignants. Attractifs , ils recèlent néanmoins de nombreuses difficultés de lecture et traduisent de forts partis-pris. Inviter les élèves à produire ce type de restitutions, c’est les aider à comprendre de l’intérieur la manière dont est produite l’information à l’ère du numérique. C’est aussi les contraindre à la prise de distance par la prise de décisions collectives autour de choix éditoriaux et esthétiques mesurés. Les inviter à différencier subjectivité et visée objective.

Cette question est abordée par les médiateurs qui en Ateliers accompagnent Traces de Soldats. Dans le Val-de-Marne elle fait même l’objet d’une séance de travail à part entière.

Construire des compétences numériques

En 2016 l’enseignement du code entrait à l’École. De l’élémentaire au lycée, l’objectif poursuivi est d’:

apprendre à traiter et résoudre de nombreux problèmes en transformant les données en informations, puis concevoir des algorithmes permettant de traiter ces informations et d’obtenir la solution à notre problème”.

C’est dans cette visée que s’inscrit la proposition de datasprint. A la différence des compétences de codage classiques, le travail avec les données repose essentiellement sur la mise en forme et l’articulation de données brutes. Les opérations d’enrichissement donnent lieu à la création et à la publication d’un document secondaire. Cet effort de crowdsourcing permet de produire les éléments de compréhension visuels dans un format numérique. Ici les élèves manipulent les datas à travers des tableurs. Ils articulent ces éléments avec des outils de visualisation en prenant en compte les contraintes d’échange. Ils se familiarisent alors aux notions de formats et de comprennent les modalités d’exploitation des données qui font le matériau des applications que nous utilisons chaque jour. Il s’agit bien de sortir de la boite noire.

Le travail avec le données contraint les participants à agir au cœur des environnements numériques. Seule cette immersion permet d’appréhender ce en quoi la sphère numérique fait sens à l’École : en temps qu’environnement de travail privilégié de la recherche, de l’analyse, de la collaboration, de la production, de la communication et la publication.

Le datasprint est un dispositif qui engage la classe dans une modalité de pédagogie, nécessairement médiée par le numérique. Selon les repères fixés par le modèle SAMR, travailler en classe avec les données, c’est se placer dans un contexte de redéfinition. Cette redéfinition est la condition d’un développement des compétences en matière de littératie numériques des élèves. Déjà, Louise Merzeau posait condition la nécessité d’évoluer en milieu numérique pour travailler ces habiletés. Enfin, face aux usages de divertissements et aux logiques de consommation propres à la sphère numérique, il est crucial de proposer aux élèves une approche émancipatrice du monde connecté, en l’installant comme espace dialogue de production partagée des savoirs et des savoirs-faire.

Dans le cadre de Traces de Soldats les médiateurs de l’Atelier Canopé 94 outillent les participants au datasprint sur la maîtrise des services et des logiciels utiles au traitement des données.

La donnée numérique comme matériau pédagogique

Données et savoirs

Dans la littérature scientifique sur l’information et la connaissance le modèle DIKW pour Data, Information, Knowledge, Wisdom est l’un des plus connu. Cette hiérarchie représentée le plus souvent sous forme de pyramide, ou de diagramme de flux, trouve une traduction française sous les termes : donnée, information, connaissance, compétence. Bien que discutée, cette représentation de la structuration des savoirs, introduit la donnée comme niveau de granularité fondamental de la compétence acquise. Fort de cette approche, comment cerner la donnée.

Selon wikipédia la donnée peut-être définie comme

“une description élémentaire d’une réalité. C’est par exemple une observation ou une mesure. La donnée est dépourvue de tout raisonnement, supposition, constatation, probabilité. Étant indiscutable ou indiscutée, elle sert de base à une recherche, à un examen quelconque”.

Cette définition se réfère au travail de Serge Abiteboul et à son ouvrage Sciences des données : de la logique du premier ordre de la toile qui précise le caractère éminemment numérique de la donnée. La donnée est aussi comprise comme un élément brut, premier, autrement dit un signe encore dépourvu de sens c’est à dire d’intentionnalité.

Replacé dans le contexte pédagogique, travailler avec la donnée numérique suppose donc de dépasser le contexte de la donnée personnelle envisagée comme propriété. En effet, le travail sur les données numérique repose en premier lieu sur le travail de collecte et de mise en forme de ce matériau pour produire du sens et construire un premier niveau d’information. Les opérations de recherche, d’agrégation et d’ordonnancement des datas ne peuvent s’effectuer qu’au sein d’un milieu ouvert garantissant aussi bien le libre accès que l’autorisation de leur traitement. C’est ce cadre qui est aujourd’hui défini par l’Open Data.

Par Jonathan Gray — Photo on flickr: https://www.flickr.com/photos/jwyg/4528443760/The simple image on the stickers can be found here: http://opendefinition.org/buttons/, CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16007995

Classe contributive et datasprint

Le datasprint pédagogique s’inscrit dans le cadre d’une idée née lors d’écriTech 2018, celle de la Classe Contributive. La Classe Contributive prend racine dans le foisonnement de réflexions autour de la forme scolaire à l’ère du numérique. Elle se situe à l’articulation des pédagogies actives, des compétences du 21ème siècle, des humanités numériques et des biens communs de la connaissance.

Qu’est ce que la classe contributive ?

La classe contributive consiste à faire de l’espace du cours un mini laboratoire d’humanités numériques. Elle repose sur l’apprentissage par la pratique et la recherche en milieu numérique. Elle s’appuie autant sur le développement des habilités numériques que sur la participation des élèves et des enseignants à l’enrichissement des bien communs de la connaissance par l’annotation, le commentaire, l’augmentation, la publication.

La Classe Contributive prend racine dans le foisonnement de réflexions autour de la forme scolaire à l’heure du numérique. Elle se situe à l’articulation des pédagogies actives, des compétences du 21ème siècle, des humanités numériques et des biens communs de la connaissance.

La classe contributive est un environnement intellectuel garanti par le cadre des programmes, la compétence des enseignants, les technologies numériques et les ressources ouvertes. C’est un environnement physique — la salle de classe au sein d’un établissement qui lui même s’inscrit dans un contexte local — et numérique — envisagé comme milieu de travail -.

Cet écosystème poreux permet la circulation des savoirs, leur appropriation et leur transformation par des élèves tour à tour chercheurs, commentateurs et auteurs. Cette démarche active associant les élèves et leurs enseignants dans un même effort permet la construction des savoirs et des savoirs-faire inscrits aux programmes.

Dans la classe contributive l’élève est producteur des savoirs qu’il construit pour lui et pour les autres, avec les autres. En ce sens, les apprentissages réalisés collectivement au sein de la classe contributive sur des modalités collaborative et/ou de co-design, ont un impact sur l’environnement physique et/ou numérique extérieur. En effet les contributions proposées viennent enrichir par le commentaire, la reformulation, l’augmentation des éléments déjà présents sur la place publique.

Dans la classe contributive, l’élève participe activement à l’entretien, à l’enrichissement et à la publication d’éléments de connaissances envisagés comme bien commun et garantis autant par les licences permettant la continuité du travail intellectuel que par les règles qui gouvernent la vie de ces gisements.

Sketchnote réalisée par Marine Bantignies https://twitter.com/marinebtgs?lang=fr

Ces savoirs construits en classe, sur le modèle de la science ouverte, constituent autant d’éléments potentiels de débats, de réutilisation, de réactualisation. Cette démarche relève d’une construction collective facilitée par le numérique. C’est une occasion pour les élèves et leurs enseignants de participer positivement au mouvement de disruption provoqué par “le tsunami numérique”. Le contributeur se construit ici en citoyen, en honnête homme, par un mouvement de transindividuation, c’est à dire de réalisation de soi par la participation à une oeuvre qui dépasse sa seule dimension individuelle. Ce travail suppose donc la compréhension, le respect et la participation à des règles communes qui sont celles définies par la classe et la communauté en charge des communs travaillés.

Cette approche pédagogique déjà à l’oeuvre dans des dispositifs comme i-voix, EMC partageons, les datasprints pédagogiques, le wiki-concours… a également pour particularité de rompre avec l’approche en silo des apprentissages. La principale difficulté consiste donc à faire converger les progressions des programmes pour créer les conditions propices à l’interdisciplinarité. Les enseignants qui se lancent aujourd’hui pour construire des scénarios de classe contributive, s’organisent collectivement au sein des EPLE.

Dans la classe contributive, au delà des compétences relevant des littératies numériques (lire, écrire, créer, débattre à travers les environnements numériques), l’élève construit également des compétences douces. Le travail en milieu numérique nécessite qu’élèves et enseignants puissent coopérer. Les compétences relationnelles sont ici primordiales mais elles ne sont pas les seules à être convoquées par cette approche. Les habiletés à communiquer, la créativité, l’exercice d’une pensée critique, la capacité à résoudre des problèmes, à développer des produits de qualité et la capacité à produire/publier deviennent incontournables.

Les enseignants participants à Traces de Soldats scénarisent les dispositifs de collaboration :

L’enseignant praticien des classes contributives maîtrise déjà les habiletés numériques. Toutefois le numérique est intégré au cours comme technologie de recherche, de communication, de lecture, d’écriture, d’échange. Il n’est pas utilisé par le professeur comme élément de substitution dans une approche transmissive, mais bien pour ce qu’il permet en propre. Cette approche invite à construire collectivement des scénarios pédagogiques intégrant le numérique comme environnement de travail global pour proposer une approche interdisciplinaire. L’enseignant est alors conduit à interroger jusqu’à l’espace temporel et physique de la classe. Dans la classe contributive l’aménagement de la salle, l’intégration des technologies sont au service de la démarche. La classe contributive est souvent un environnement hybride associant technologies numériques et dispositifs analogiques utilisés dans le dispositif de co-design, de la classe mutuelle.

Pour quelles réalisations ?

Les éléments produits par les classes seront réalisés courant octobre pour une restitution prévue au 20 octobre.

Les contenus seront ensuite valorisés lors des cérémonies du centenaire localement et sur la plateforme data.gouv.fr

Quel calendrier pour Traces de Soldats ?

Mai / Juin 2018

  • Pré-recrutement des classes
  • Prise de contact avec les collectivités territoriales concernées en vue de la valorisation locale des travaux
  • Communication du guide d’accompagnement Traces de Soldats

Septembre 2018

  • Recrutement définitif des classes
  • Médiation autour du kit d’accompagnement
  • Mise en oeuvre d’animations autour des questions de l’open-data en Atelier Canopé
  • 21 septembre Communication des jeux de données par l’équipe de l’Atelier Canopé 94
  • 24 lancement du datasprint

Octobre 2018

  • Exploitation des jeux de données en classe
  • Accompagnement des classes par les médiateurs de l’Atelier de proximité
  • Finalisation des datavisualisations par les classes (si possible au court d’un événement en Atelier)
  • 20 octobre fin du datasprint — retours des jeux de données et des datavisualisations

Novembre 2018

  • Valorisations locales des livrables
  • Valorisation des travaux et des jeux de données « améliorés » en liaison avec Étalab et la Mission Centenaire

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